30 août 2023
Émilie Houde-Tremblay est une étudiante au doctorat en aménagement du territoire et développement régional (sous la direction de Geneviève Cloutier et d’Alain Olivier). Passionnée par l’agroécologie et les dynamiques sous-jacentes au mouvement agroécologique, la thèse d’Émilie s’intitule «Au-delà des tomates, ce que l’on sème c’est des relations: Regard sur le déploiement de l’agroécologie comme projet sociopolitique à Madrid, Espagne » (disponible bientôt).
Découvrez le parcours de cette étudiante engagée.
Pourquoi votre domaine de recherche vous passionne-t-il ?
Je m’intéresse à l’agroécologie urbaine puisqu’elle propose des alternatives pour faire face aux grands défis contemporains : crise de la biodiversité, changements climatiques, iniquités sociales, etc. Pour moi, l’agroécologie rassemble des initiatives citoyennes et des amorces de politiques qui s’inscrivent dans une visée de changement, assez profond, de notre rapport à la nature et au collectif. L’intérêt que je porte à l’agroécologie est véritablement nourri par un certain besoin d’espoir face à l’avenir.
Ce qui me passionne dans mon domaine d’études, c’est de voir qu’un peu partout, il y a des gens qui prennent les choses en main… Des prises d’actions imparfaites certes, qui subissent notamment les pressions du système dominant (ce qui génère tout un lot de contradictions), mais qui font néanmoins leur place et qui méritent notre attention. Il y a donc un angle double qui m’intéresse pour arriver à comprendre la portée des initiatives dans toute son ambiguïté : d’une part, comprendre les formes de rattrapage et d’instrumentalisation auxquelles les initiatives agroécologiques font face, mais aussi, d’autre part, nourrir une certaine confiance que l’on peut avoir collectivement en la possibilité de faire les choses différemment, nourrir une sorte d’imaginaire collectif qui invite à d’autres perspectives ou solutions.
Sur quoi porte votre thèse ?
Ma thèse porte sur le déploiement de l’agroécologie à Madrid. J’étudie d’abord des initiatives citoyennes d’agroécologie en contexte urbain, incluant leurs rapports au périurbain. J’ai suivi quatre initiatives : deux d’entre elles sont des initiatives d’agriculture urbaine et les deux autres sont des initiatives de distribution de la production agroécologique. J’ai choisi d’étudier les initiatives se déployant à Madrid parce qu’on y trouve un contexte particulier où on se revendique de l’agroécologie ; il y a tout un mouvement social qui parle d’agroécologie, mais aussi, une forme d’institutionnalisation de l’action alimentaire et de ce référent agroécologique.
J’ai réalisé mon terrain à Madrid avec une approche par étude de cas. J’ai vécu à Madrid de septembre à décembre 2019, ce qui m’a permis de participer à diverses activités liées à l’agroécologie et de visiter différents espaces agroécologiques. Sur place, j’ai réalisé 26 entretiens semi-dirigés et un peu plus d’une centaine d’heures d’observation. Mes entretiens ont été réalisés avec les participants des quatre initiatives, mais aussi avec des consultants, des travailleurs de la ville ou encore des acteurs impliqués dans d’autres initiatives plus larges. Évidemment, j’ai aussi effectué de la recherche documentaire.
Grosse modo, j’étudie à la fois comment ces initiatives ont émergé, comment elles se structurent, mais aussi, comment elles nous permettent d’entrevoir le paysage plus large d’une évolution, d’une consolidation de la place de l’agroécologie en ville et notamment, dans les politiques publiques. Ma thèse, par articles, se structure en trois blocs : le premier chapitre explore le rôle que le mouvement social a joué à Madrid dans la mobilisation et l’institutionnalisation du référent agroécologique, le deuxième chapitre porte sur la portée et les limites de la rencontre opérée à Madrid entre le projet agroécologique et celui du Nouveau municipalisme, et le troisième s’intéresse finalement à la question des compromis, à leur raison d’être et à la réflexivité dont font preuve les acteurs à ce sujet.
Comment évaluez-vous la ou les contributions de vos recherches sur l’évolution des débats publics en aménagement du territoire ?
Je pense que mes travaux portent sur une thématique encore très émergente en aménagement du territoire. J’ai vraiment l’impression de faire le pont entre différents champs et groupes d’acteurs. Ça m’amène bien des casse-têtes, mais je pense que c’est positif au final. À plus petite échelle, je souhaite offrir aux acteurs de l’agroécologie une forme de soutien en me positionnant comme une alliée pour mettre un pied dans la transition, maintenant. À plus grande échelle, je désire contribuer à visibiliser les alternatives agroécologiques en mettant notamment en lumière leur pertinence et leur crédibilité, de manière nuancée et appuyée. Si certains parlent d’agroécologie comme d’une solution technique, mon rôle est plutôt de discuter d’agroécologie comme d’un projet sociopolitique et épistémologique assez radical que l’on doit défendre comme tel.
Quelles pistes souhaitez-vous explorer dans vos recherches futures ?
Ouf, tellement de choses! C’est certain que j’aimerais continuer de développer mon expertise sur la rencontre entre agroécologie et aménagement du territoire. Il y a des travaux assez chouettes qui commencent à émerger sur l’urbanisme agroécologique. Ça m’interpelle beaucoup : l’échelle territoriale est vraiment centrale en agroécologie, et la nourriture, bien c’est essentiel à la vie! Je vois mal comment on peut continuer de penser nos territoires sans y penser sérieusement…
Sinon, c’est certain que j’aimerais approfondir ma capacité à réfléchir de manière nuancée à la portée transformative, à comment on apprend collectivement, on arrive ou non à changer certaines choses. J’aimerais bien continuer de travailler sur la manière dont des propositions radicales se déploient à l’intérieur du système dominant, sur comment les acteurs naviguent les contradictions et arrivent à créer des convergences porteuses.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
En général, j’ai l’impression qu’il faut enclencher le pas vers la recherche qui accompagne le changement, notamment en améliorant le dialogue science-société. Je pense aussi qu’on ne peut pas envisager de faire face aux crises actuelles, environnementales, sociales, sans profondément remettre en question les règles du jeu, le statu quo.
Entrevue réalisée par Melina Marcoux (coordonnatrice du CRAD), 2023.