23 avril 2022
Kim Pawliw est doctorante en géographie à l’Université Laval sous la direction d’Étienne Berthold. Cette étudiante d’origine ukrainienne est passionnée par l’étude des relations russo-ukrainiennes et de l’héritage de la communauté ukrainienne du Canada. Sa thèse porte sur la construction identitaire du quartier Rosemont à Montréal en tant que quartier ukrainien. Découvrez le parcours de cette étudiante qui, comme beaucoup d’autres, a relevé les défis de réaliser sa thèse en contexte de pandémie.
Depuis combien de temps faites-vous de la recherche ? D’où provient votre motivation de faire carrière en recherche ?
Mon intérêt pour la recherche a débuté alors que je réalisais mon diplôme d’études secondaires. J’ai participé au concours expo-sciences, un exercice de vulgarisation et d’expérimentation scientifique jeunesse dans lequel je m’étais rendue à la finale pancanadienne. Ça peut paraître anecdotique, mais cette expérience a été un élément déclencheur dans le développement de ma motivation à entreprendre des études supérieures en recherche. Lors de ce concours, j’avais présenté une revue de la littérature sur des molécules qui se trouvent dans les organismes marins, notamment les éponges de mer et qui possèdent des propriétés thérapeutiques intéressantes : antibiotiques, antiviraux, anticancérigènes, etc. Mon projet s’appelait « Docteur Bob l’éponge ».
Après l’expo-sciences, je voulais étudier en biologie ou en chimie mais j’ai changé de branche au Cégep pour me diriger vers les sciences humaines. Quand je suis allée aux portes ouvertes du baccalauréat en géographie de l’Université Laval, j’ai eu un coup de cœur et j’ai décidé de commencer mes études au premier cycle en 2012. J’ai pris le cours « Géographie de la Russie et des républiques périphériques » (cours dont je suis en charge en ce moment) et c’est ainsi que j’ai rencontré mon Directeur de thèse, Etienne Berthold. Étant d’origine ukrainienne, j’avais déjà une passion pour les études slaves, les relations russo-ukrainiennes, les phénomènes identitaires, etc. Le cours m’a permis de développer davantage cette passion. Dans le cadre d’un contrat d’auxiliaire, j’ai effectué des recherches sur l’iconographie de la Russie pour le livre à l’étude dans le cours « Québec-Canada, Russie : 100 miroirs ». Ce parcours m’a amenée à présenter une communication au congrès de l’Union géographique internationale, un événement qui s’était déroulé à Moscou en 2015. La communication abordait quelques comparaisons entre le Québec, le Canada et la Russie qui se retrouvent dans le livre « Québec, Canada, Russie : 100 miroirs » (ex. le relief, la nordicité, le multiethnisme, etc.). Voyager dans le cadre de mes études a été également une source de motivation pour poursuivre à la maîtrise.
Pourquoi votre domaine de recherche vous passionne-t-il ?
Je suis d’origine ukrainienne par mes grands-parents paternels. Les immigrants ukrainiens et ceux de plusieurs nationalités de l’Europe de l’Est, ayant un passeport austro-hongrois durant la Première Guerre mondiale, ont été mis dans des camps d’internement au Canada, dont celui de Spirit Lake en Abitibi-Témiscamingue où ma grand-mère a été internée lorsqu’elle avait deux ans. Après la guerre, ma grand-mère et sa famille sont retournées en Ukraine et elle est revenue seule au Canada par la suite. Quand j’ai appris cette histoire au début de mon secondaire, j’ai participé au Concours d’écriture Mathieu Da Costa. J’ai écrit un poème sur l’histoire de ma grand-mère et par la suite, la communauté ukrainienne m’a invitée à en faire la lecture lors de certains événements de commémoration. J’ai également participé à un documentaire qui portait sur l’internement nommé « The Camps » par Armistice Films (2017) et je fais maintenant partie du Conseil de dotation du Fonds canadien de reconnaissance de l’internement durant la Première Guerre mondiale en tant que représentante des descendants des internés. Le Fonds vise à subventionner des projets qui commémorent cet événement (ex. recherches universitaires, films, expositions artistiques, etc.). Je suis donc en contact avec certaines organisations de la communauté ukrainienne du Canada depuis l’âge de 13 ans.
Durant ma maîtrise, je travaillais sur les justifications mises de l’avant par les dirigeants russes quant à l’incorporation de la Crimée en 2014, c’est un sujet de géopolitique très sensible d’ailleurs. Au doctorat, l’étude de l’identité de la communauté ukrainienne me rapprochait de mes origines, il y a donc une résonnance assez personnelle, la construction identitaire, les immigrants, la construction des quartiers ethniques.
Sur quoi porte votre doctorat ?
J’essaie de voir comment les Ukrainiens construisent leur identité en milieu urbain, en lien avec les associations ethniques, les communautés ethnoreligieuses et les instances dirigeantes municipales. Dans la littérature, il y a beaucoup d’études qui lient la construction identitaire à plusieurs variables en contexte migratoire, comme la maîtrise de la langue du pays d’accueil, la ségrégation ethnique, la création d’associations ethniques, les relations sociales entre immigrants, mais il y en a peu sur la façon dont la société d’accueil peut contribuer à l’identité des groupes issus de l’immigration. Mon projet vise donc à comprendre comment les associations ethniques, les communautés ethnoreligieuses et la société d’accueil peuvent interagir et contribuer à l’identité des groupes issus de l’immigration et à la construction d’un quartier ethnique, avec l’exemple de la communauté ukrainienne du quartier Rosemont à Montréal. Rosemont reflète vraiment la présence d’une communauté ukrainienne, surtout au niveau institutionnel (ex. l’église Sainte-Marie-Protectrice (image 2), la Cathédrale Sainte-Sophie, l’église de l’Assomption-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie, la Caisse populaire ukrainienne Desjardins de Montréal (Image 1), des associations de jeunesse ukrainiennes, etc.).
Cette présence se manifeste aussi à travers l’espace urbain comme le Parc de l’Ukraine ou la rue du même nom. J’essaie de voir aussi ce que les Ukrainiens pensent du quartier, est-ce qu’ils s’identifient au quartier de Rosemont ? J’étudie ce processus de construction identitaire à travers l’analyse du discours des associations ethniques, des communautés ethnoreligieuses et des représentants de la Ville. J’ai fait beaucoup de recherches dans les archives municipales et dans celles de certaines associations ukrainiennes, j’ai conduit une quarantaine d’entrevues semi-dirigées et j’ai effectué une recherche exhaustive d’articles de journaux (provenant par exemple de la BAnQ).
Pour le recrutement, l’approche personnalisée est celle qui a le mieux fonctionné. À l’été 2021, je suis allée à Montréal pendant que les mesures sanitaires le permettaient et je suis allée consulter les archives. Il y a aussi beaucoup d’informations dans les dépliants des événements de la communauté.
Comment vous décrivez-vous en tant que chercheure ?
J’ai réalisé que j’ai une bonne capacité d’adaptation pour trouver des solutions afin de faire face aux problèmes rencontrés durant ma recherche. Ma collecte de données a été faite au ¾ en contexte de pandémie. Mon terrain devait se dérouler à Montréal dans une période où les déplacements non essentiels étaient soit interdits, soit non recommandés. En plus, beaucoup de mes répondants étaient des personnes âgées, donc plus à risque quant à la Covid-19. La pandémie a donc rendu le recrutement assez difficile. Je comptais beaucoup sur le festival ukrainien de Montréal qui a lieu chaque année dans Rosemont pour m’aider à tisser des liens avec des membres de la communauté mais l’événement a eu lieu uniquement en ligne en 2020 et a été annulé en 2021. De fil en aiguille, j’ai réussi à avoir des contacts avec des associations ukrainiennes qui m’ont aidé dans la diffusion de ma recherche. Je tiens d’ailleurs à les remercier grandement. Finalement, j’ai réussi à contacter des participants par téléphone, mais il reste que le fait de ne pas pouvoir planifier des entrevues en personne m’a donné du fil à retorde. Au début de la pandémie, je pensais que mon doctorat n’allait pas pouvoir se poursuivre. Au niveau des entretiens, j’ai dû revoir des choses, au niveau de la consultation des archives aussi.
Je suis aussi quelqu’un d’organisé et de méthodique, ça se reflète dans mes documents, j’accorde une grande importance à la rigueur.
Comment les liens avec vos collaborateurs nourrissent-ils vos recherches ?
Mon directeur, Étienne Berthold, m’a encouragée et m’a offert plusieurs opportunités tout au long de mon parcours, autant à la maîtrise qu’au doctorat. Il m’a aussi beaucoup aidé au niveau du réseautage, surtout depuis la guerre en Ukraine puisque ça touche à un de nos domaines d’expertise.
Mon père, Pierre Pawliw, m’aide aussi, il est mon traducteur car il maitrise la langue ukrainienne. Il a un doctorat, pas dans le même domaine que moi mais c’est aidant d’échanger avec lui sur des enjeux méthodologiques.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, je suis sur le Conseil de dotation du Fonds canadien de reconnaissance de l’internement durant la Première Guerre mondiale, une instance qui reçoit un financement du Gouvernement fédéral. Cette participation m’a aidé à accroître ma visibilité dans la communauté ukrainienne et j’ai beaucoup appris sur les dynamiques de la communauté.
Comment évaluez-vous la ou les contribution(s) de vos recherches sur l’évolution des débats publics en aménagement du territoire ?
J’ai pu observer que les membres de la communauté ukrainienne sont parfois consultés pour les projets qui ont cours dans leur quartier mais ils aimeraient être davantage dans une relation de collaboration avec la Ville de Montréal. Ils aspirent à la création de ponts avec les dirigeants. Avec ma recherche, je souhaite apporter un éclairage sur les besoins et les aspirations de la communauté ukrainienne pour ensuite favoriser leur intégration dans les outils en matière d’aménagement.
*Je tiens à remercier le Fonds de recherche du Québec – Société et Culture pour son appui financier à ma recherche (dossier 267257).