2 septembre 2021
Pierre Paul Audate termine actuellement son doctorat en Aménagement du Territoire et Développement Régional sous la direction d’Alexandre Lebel et la codirection de Geneviève Cloutier. Ce jeune chercheur d’origine haïtienne s’intéresse aux aspects humains de l’agriculture urbaine et à son influence sur la santé des populations. Voici le portrait d’un membre-étudiant du CRAD animé par la connexion entre le milieu académique avec les acteurs du terrain.
Comment avez-vous débuté votre carrière en recherche ?
J’ai fait mes premiers pas en recherche lors de mon Baccalauréat à l’Université EARTH au Costa-Rica. En tant qu’étudiant en agronomie, j’ai eu l’opportunité de m’impliquer dans un projet de recherche qui visait à trouver des plantes tropicales aux pouvoirs inhibiteurs sur l’urée, un enzyme qui permet une meilleure efficacité des engrais azotés. C’est donc dans ce contexte de recherche appliquée et en laboratoire que j’ai commencé ma carrière en recherche. Après mon baccalauréat, je suis retourné dans mon pays d’origine, Haïti, où je pensais pouvoir continuer dans ce domaine, mais faute de financement, j’ai dû mettre de côté cette passion pour la recherche. J’ai alors travaillé pour des projets de développement avec des ONG. Après quelques années passées en Haïti, je suis retourné au Costa-Rica pour faire une maîtrise en développement dans un programme de sciences sociales du Centre de recherche et d’enseignement en agronomie tropicale (CATIE).
Quand j’ai décidé de faire un doctorat, j’avais l’option des sciences naturelles et celle des sciences sociales. J’ai choisi ATDR et je ne regrette pas car c’est à l’intersection de plusieurs disciplines. C’est passionnant de collaborer avec diverses expertises afin de trouver des solutions à des problèmes multidimensionnels.
Comment vous décrivez-vous en tant que chercheur ?
Je me décrirais comme quelqu’un qui veut avoir une influence dans la vie des populations et c’est pourquoi je valorise l’aspect pratique de la recherche. Je souhaite traduire les théories en quelque chose de concret et contribuer à améliorer les conditions de vie. Je me décrirais aussi comme quelqu’un qui apprécie la création et l’innovation.
Sur quoi porte votre thèse ?
Ma thèse porte sur les motivations individuelles liées à la pratique de l’agriculture urbaine. L’objectif est de caractériser les motivations des personnes défavorisées de trois villes aux conditions économiques différentes, Montréal (Canada), Quito (Équateur) et Port-au-Prince (Haïti). À Montréal, on est dans un contexte différent de Quito, une ville qualifiée d’«intermédiaire» du point de vue économique. Et à Port-au-Prince, les revenus sont très bas. J’étudie les motivations des gens qui font de l’agriculture urbaine dans ces villes: quel est leur intérêt? qu’est-ce qui les maintient mobilisés?
Les travaux sur le sujet montrent qu’il y a une certaine dichotomie entre les pays du Sud et les pays du Nord. L’approche avec laquelle les gens pratiquent l’agriculture urbaine dans les villes du Sud est qualifiée de productiviste (contribuant à la sécurité alimentaire), alors que dans les villes du Nord, celle-ci est multidimensionnelle, c’est-à-dire qu’elle contribue à plusieurs dimensions de la vie sociétale (loisirs, le contact entre les gens, le contact avec la nature). On a même tendance à sous-évaluer les apports alimentaires de l’agriculture urbaine dans une ville comme Montréal ou Québec.
Dans le contexte haïtien, il y a une certaine insécurité alimentaire et on pourrait imaginer que les gens qui font de l’agriculture urbaine sont motivés par le fait de nourrir leur famille. Or, nous avons constaté que c’est une activité pratiquée dans une optique de revalorisation du quartier. Ce qu’ils produisent dans les jardins a peu d’incidence sur leur diète ou leur alimentation: c’est surtout une activité qu’ils font pour redorer leur blason. Ces quartiers ont une histoire marquée par la criminalité et la violence, donc quand les gens se réunissent pour faire l’agriculture urbaine, ils sont conscients que leur milieu de vie est stigmatisé et ils veulent contribuer à changer l’image du quartier.
La multifonctionnalité de l’agriculture urbaine était très intéressante à documenter. À Montréal de même qu’à Quito, on a fait une typologie de ces activités. On a pu identifier quatre grands types de pratiquants: éco-engagé, socio-engagé, écono-expert et versatile (figure 3). À Montréal, les écono-experts se retrouvent surtout dans des jardins communautaires. Ce sont des immigrants préoccupés par l’aspect productif du jardin. Ils y cultivent notamment des aliments qu’ils sont habitués de consommer dans leur pays d’origine mais qu’ils ne retrouvent pas forcément dans les supermarchés du Québec. L’autre type de pratiquant (socio-engagé) est beaucoup plus intéressé par l’aspect social du jardinage. Il n’est pas préoccupé par le rendement de ce qu’il cultive. Il y a d’autres participants (les éco-engagés) qui cherchent à se détendre et bénéficier des bienfaits du jardinage sur leur santé mentale. Ce sont surtout des jeunes professionnels qui ont un travail pouvant être une source de stress. On a aussi observé un autre type de pratiquant (versatile), surtout à Quito, ce sont des mères de familles dont la motivation réside le fait de nourrir leur famille.
Je souhaite que mon projet permette d’outiller les décideurs en ramenant la réalité du terrain et les motivations derrière la pratique de l’agriculture urbaine. Par exemple, dans les jardins communautaires, la liste d’attente peut être très longue pour avoir sa parcelle individuelle. Les gens motivés par l’aspect social pourraient donc être orientés vers les jardins collectifs.
Comment vos liens avec la pratique professionnelle et vos collaborateurs nourrissent-ils vos recherches ?
Je pense que les relations avec les intervenants sur le terrain et mes collaborateurs en recherche m’amènent à développer un sens critique. Discuter avec des collaborateurs m’a aidé aussi à améliorer mes méthodes et mes outils de cueillette de données. Dans mon cas, la collaboration a commencé au moment où je développais, avec mon superviseur, le protocole de la revue systématique de la littérature. Je n’avais pas vraiment de connaissances dans ce domaine alors nous avons travaillé avec des personnes-ressources à la bibliothèque. J’ai également travaillé avec une autre collègue pour sélectionner les études à retenir dans le cadre de notre revue systématique. Elle avait une expertise en nutrition qui s’est avérée très utile pour sélectionner les études.
Il y a eu des collaborations avec des organismes locaux qui font des interventions en agriculture urbaine (ex. : maison de quartier Villeray, VRAC environnement, figure 4) et ça m’a permis connaître le mode de fonctionnement des organisations. Ces organismes ont des idées et des connaissances du terrain. Ils font des demandes de subventions, nous aident à traduire les connaissances en actions concrètes et trouvent des applications aux résultats de la recherche.
Quelles pistes souhaitez-vous explorer dans vos recherches futures ?
Je souhaite continuer à faire de la recherche interdisciplinaire sur les aspects liés à l’alimentation et la promotion de la santé. Les projets de verdissement urbain sont un bel exemple de créneau dans lequel j’aimerais m’impliquer. Je suis motivé par la volonté de traduire les résultats de ma recherche en politiques publiques et en actions sur le terrain.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
Selon moi, la recherche gagne à tisser des liens avec les acteurs qui sont sur le terrain. Je souhaite un renforcement de la collaboration entre le secteur public et le secteur académique afin que les connaissances soient accessibles aux acteurs du terrain et qu’elles aient des impacts dans la vie des gens.
La facilité avec laquelle les gens peuvent communiquer par le biais des réseaux sociaux amène des possibilités aussi pour diffuser les connaissances. Cependant, la diffusion de « fausses informations » est aussi présente, donc il y a un enjeu pour les chercheurs de diffuser les connaissances de façon vulgarisée et accessible. Je pense que les chercheurs ont un rôle d’éducation auprès des influenceurs et des journalistes.