8 janvier 2025
Samuel Boudreault est coordonnateur de l’équipe de recherche-création Habiter le Nord québécois depuis 2017. Architecte et professionnel de recherche, Samuel travaille à la construction de réseaux inclusifs et solidaires entre les communautés autochtones, les acteurs politiques, académiques, sociaux et la population. Découvrez son parcours unique où collaboration et réflexivité occupent une place toute particulière.
Cette carrière en recherche a débuté quelque part sur le bord d’une décharge municipale, devant l’estuaire du fleuve et dans un garage chauffé au bois… Imaginez ce que ça fait à un gamin qui a toujours mal supporté l’idée de rester assis en classe. Il réalise que c’est aussi ça « la recherche ». Elle peut être menée debout, dans l’action. Elle est vivante, créative et solidaire… son ADN est composé d’aspirations plurielles !
Étudiant, le groupe de recherche Habitats et Cultures m’a offert une abondance d’occasions pour me remplir la tête d’expériences étonnantes. Si ça a commencé et que ça continue, c’est la faute de professeures de l’école d’architecture : André Casault, Geneviève Vachon et Myriam Blais. Sur le terrain depuis la fin 90, ces co-chercheures m’ont fait voir que le partage et l’esprit de communauté représentaient l’une des plus belles perspectives pour l’épanouissement des idées.
En 2013, le groupe cumulait déjà de nombreux projets dans la province et ailleurs dans le monde. À l’époque, je développais une maquette interactive d’une communauté Innue pour visualiser des principes de design urbain. C’était la première fois que mon esprit s’ouvrait à l’idée d’imaginer l’avenir avec les yeux du Nitassinan. Quelle poésie ! Sans le savoir, je marchais déjà sur le sentier bien tracé de ce que deviendrait Habiter le Nord québécois.
Diplômé l’année suivante, je me suis expatrié en France, porté par ces regards croisés sur l’identité culturelle. C’est un duo d’architectes engagés à imaginer une habitation sociale « autrement frugale » qui m’a adopté. À même la pierre bordelaise FABRE de MARIEN continuait mon éveil à la poésie nécessaire pour allier territoires et habitants. En 2017, persévérant sur cette veine, l’occasion de renouer avec le groupe de recherche s’est présentée. Cet automne, j’entame ma huitième et dernière année comme professionnel de recherche.
Ma motivation vient d’abord de l’énergie positive qu’on canalise en marchant dans les souliers de quelqu’un d’autre. Elle nous a permis de « mobiliser, comprendre, imaginer » et de « faire les choses autrement », ensemble. Les relations développées en chemin sont significatives. Il y a des pédagogues extraordinaires dans toutes les communautés et les leçons partagées m’habitent chaque jour. Elles sont la source d’une gratitude infinie – avec laquelle vient une certaine responsabilité. Au sein de l’équipe, je m’interroge constamment sur les pratiques à adopter pour amplifier l’impact (pondéré, bienveillant et fertile) de ces enseignements. Avec le temps, les graines semées viennent à germer. Dans l’immédiat, l’effet n’est pas toujours facile à mesurer mais l’expérience de nos ainées me donne confiance en l’avenir. Par nos projets, nous cherchons à renforcer la solidarité en abordant les défis dans une perspective tout aussi réaliste qu’optimiste. Tous les membres de l’équipe portent ce désir sincère de contribuer à un mouvement positif, à un monde plus juste.
Nos efforts de mobilisation nous confrontent à des injustices importantes que nous devons non seulement dénoncer, mais aussi contribuer à réparer. Cet aspect de la recherche me passionne. Il nous mène vers des transformations nécessaires par et pour la Société. Notre approche vise à engager la population et les décideurs dans une dynamique d’actions concrètes, ce que je trouve très stimulant. L’imagination, la création et les différentes collaborations qui sont au cœur de notre démarche nous permettent de penser et d’illustrer des scénarios désirables pour le monde de demain. Évidemment, il y a plein de défis en matière de faisabilité, mais sans cet espace de création, comment innover ? Cette liberté académique me pousse à continuer !
Bien sûr, je suis amoureux de notre équipe « inter-toute ». Nous avons réussi à animer un véritable réseau de collaborations intergénérationnelles, interdisciplinaires, intersectorielles et interculturelles à l’échelle de la province. Selon moi, ce réseau offre un espace fécond pour l’autodétermination des communautés participantes et le développement de relations authentiques entre nos nations. Il n’y a pas que des succès, mais nous traversons ensemble toutes sortes de processus personnels et émotionnels à la découverte des orientations de nos prochaines recherches. C’est un privilège pour moi d’être en contact avec tous ces créateurs audacieux. En ce sens, on pourrait dire que notre espace de recherche en est un de convivialité authentique où il fait bon inventer.
De la rencontre de ses deux composantes, la recherche-création implique pour moi une posture rassembleuse. Dans cette quête d’un troisième terme, les boucles de recherche et de création façonnent des possibles. Dotés d’objectifs ambitieux, leurs dessins s’affirment avec l’expérience du groupe. Au fil du temps, les scénarios les plus adaptés, mais aussi les plus flexibles se font remarquer. Dans ce processus, faire preuve de réflexivité est essentiel – nourrir cette sensibilité́ propre à chacun exige un contexte de découverte et de surprises renouvelées. C’est, entre autres, ce que la recherche-création me permet en envisageant plusieurs scénarios à la fois, en interrogeant nos positions au rythme des saisons et en restant ouvert au croisement de toutes les formes de savoirs… Former ces nouvelles connexions neuronales, c’est saisir l’occasion d’ « habiter la Terre en poète ».
On cherche tout sauf des recettes toutes faites. L’objectif c’est plutôt de coopérer pour autonomiser les parties prenantes et intégrer leurs connaissances dans des façons créatives de penser et de faire l’architecture ou le design villageois. En partageant ce qui est important, nous imaginons ensemble des projets plus près des valeurs et des aspirations locales. Les étudiants de notre école ont abondamment illustré ces idées. Il s’agit d’une contribution colossale des architectes de la relève pour appuyer les visions du réseau d’acteurs investis dans nos travaux de recherche.
Par exemple, le guide « L’ABC d’une collaboration authentique » est né d’un projet avec le ministère des Transports et de la Mobilité Durable qui souhaitait s’outiller dans ses efforts de collaboration avec une communauté Anishinaabe. Appuyé par les expériences de la communauté, nous poursuivions un double objectif : 1) fournir les bases d’une collaboration authentique, 2) présenter des principes et moyens d’action culturellement adaptés au développement de projets en territoires autochtones.Il faut souligner l’importante contribution de la thèse d’Élisa Gouin en matière d’authenticité partenariale.
Au fil des dix dernières années, l’équipe a cumulé un ensemble important de connaissances croisées sur ce que pourrait être une architecture et une planification culturellement adaptée par/pour le Nunavik. « Doing Things Differently : Atlas of Ideas to Plan, Dwell, Build a Sustainable Nunavik » est le résultat de ce dialogue. Cette synthèse propose 15 clés de changement (et 65 appels à l’action) pour planifier, habiter et construire selon les besoins et l’expertise locale. L’outil Web est accompagné d’une minisérie de quatre épisodes où s’exprime les membres de la communauté de Kangiqsualujjuaq et d’un reportage de vidéo sur les coulisses de la recherche.
Tout récemment, nous avons soumis au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation et à la Société du Plan Nord nos recommandations visant l’amélioration de la conception des habitations nordiques au Québec. La plate-forme « Illu Nunavik » en offre un aperçu, fondé sur trois enjeux-clés : « la variété des choix en matière d’habitation et d’aménagement, l’acceptabilité sociale et culturelle envers ces nouvelles opportunités, et la faisabilité de leur éventuelle mise en œuvre. »
Pour les prochains mois, on se concentrera sur le projet « Home as Territory : A blueprint for community-driven housing production in Nunavik ». Il s’agit d’un outil de scénarisation (flexible) pour faire de l’habitation un levier d’autonomie régionale. En décomposant les barrières, on remet en question le statu quo afin de renforcer les capacités des jeunes et l’essor d’innovations sociales. En ce sens, on vise que les histoires que l’on dessine contribuent à élaborer de visions partagées par le Nord et le Sud de la province.
Sur notre planète, l’architecture « vernaculaire » (ou populaire) et ses savoir-faire (locaux) connaissent le même déclin que la biodiversité. Pourtant, elle s’appuie sur les caractéristiques spécifiques du territoire sur laquelle elle s’est développée. Cet exercice de recherche-création que l’humanité a mené sur des miliers d’années est une source extraordinaire de solutions pour imaginer un monde véritablement durable, utile et poétique. S’y expriment toute la créativité humaine et les valeurs des communautés qui s’y façonnent. À ce titre, le peuple Inuit est passé maitre dans l’art de l’adaptation. On a beaucoup appris du Nord (il reste beaucoup à apprendre) et ces recherches m’ont affuté l’esprit aux sens qu’habiter la Terre peut prendre.
Ultimement, on vise à réaliser des outils accessibles, synthétiques et visuels. On explore des médiums variés pour atteindre un public qui l’est tout autant. Ce grand exercice a permis d’ouvrir la voie à de nouveaux modèles d’interactions axés sur la solidarité, la confiance et le soin du vivant. Actuellement, il y a un important déficit en infrastructure dans les communautés autochtones du pays. Il pourrait être tentant d’agir dans l’urgence. On sait toutefois que pour fabriquer des milieux de vie de qualité, il faut d’abord qu’ils soient imaginés, même fabriqués, par ceux qui y vivent et savent les apprécier. Ça prend du temps ! Je souhaite que nos expériences passées, de même que celles de nos ancêtres, puissent servir aux générations suivantes. La prochaine étape serait de matérialiser nos exercices de visualisations pour susciter l’étincelle capable d’inspirer le plus grand nombre.
Aujourd’hui, je suis particulièrement fan du « mouvement pour une frugalité heureuse et créative » (lisez et signez son manifeste). J’envisagerai le champ de recherche évoluer vers « ménager – ne plus aménager ». Ménager le territoire, c’est préserver un lien à l’origine de toute chose. Pour désigner le caribou, les Inuit utilisent « tuktu » dont l’étymologie serait « les grands poux [de la Terre] ». Il y a dans ce rapport d’échelle une image forte pour exprimer la relation entre l’Humain et la Terre. Elle met en évidence un enracinement profond dans lequel je me reconnais. Les échanges interculturels permettent de réaffirmer ce lien précieux. Il ne tient qu’à nous de « faire mieux avec moins » et d’agir pour réparer ce qui a besoin de l’être.
Entrevue réalisée par Melina Marcoux, coordonnatrice du CRAD, 2024.
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