À l’intersection de la recherche et de la pratique I Vitrine sur le parcours de Nadim Tadjine, étudiant au doctorat sur mesure en design, innovation sociale et participation publique

Nadim Tadjine, membre étudiant du CRAD.

Nadim Tadjine est étudiant au doctorat sur mesure en design, innovation sociale et participation publique sous la direction de Caroline Gagnon, membre régulière du CRAD et professeure titulaire à l’École de design de l’Université Laval. Il travaille actuellement pour l’alliance Transition en commun et est activement impliqué dans différents projets à l’intersection de la recherche et de la pratique, notamment à Montréal.

Apprenez-en plus sur ses travaux et sur son parcours !

 

 

 

Qu’est-ce qui t’a amené à réaliser des études supérieures ?

Avant mon arrivée au Québec, il y a de cela une dizaine d’années, j’ai effectué une maîtrise en ergonomie des activités physiques, ingénierie et conception de produits, puis une seconde maîtrise en design pour l’innovation sociale à l’Université de Nîmes. À la fin de mes études de 2e cycle, une belle opportunité de recherche-action avec le Parc Olympique de Montréal et l’École de Design de l’Université Laval m’a donné envie de voyager pour mieux comprendre la manière dont se pratique le design en Amérique du Nord, en particulier, en contexte francophone. Après un stage passionnant en sol québécois, sous la direction de Caroline Gagnon et de Michel Labrecque (ancien PDG du Parc Olympique), la volonté de poursuivre ma formation en design m’a amené à réaliser un doctorat.

Alazim Boumboum – @collectifdedesigners

 

Sur quoi porte ta thèse ?

À l’origine, je m’intéressais surtout à la façon dont les non-designers, en particulier, des citoyens qui ne sont pas formés au design, posent des gestes de design dans l’espace public. On peut penser aux petits gestes d’aménagement simples comme les bacs de jardinage que les résidents d’un quartier placent au coin d’une rue, l’aménagement d’une ruelle, ou encore de placettes de quartiers. C’était un sujet super vaste, mais il y avait là quelque chose de captivant à explorer ! Il faut dire que j’avais déjà les deux pieds dedans, en 2015, lorsque je collaborais avec plusieurs organisations en placemaking à Montréal. Progressivement, au fil de mes expériences professionnelles, j’ai commencé à mieux comprendre cet écosystème en accompagnant des organisations qui mettent en place ce type d’aménagement et en commençant à en développer moi-même avec d’autres amis architectes et designers. En 2019, lors d’un voyage exploratoire sur les communs urbains à Barcelone, j’ai rencontré plusieurs acteurs de la Ville de Montréal qui travaillaient, au même moment, à la mise en place d’un programme d’urbanisme transitoire à Montréal. Suite à cette rencontre, j’ai réalisé une résidence de recherche de deux ans au Service d’urbanisme et de mobilité de la Ville de Montréal. Cette expérience m’a amené à recadrer mes travaux de recherche pour m’intéresser à la place du designer et des pratiques collaboratives issues du design au sein des institutions publiques qui développent des projets d’aménagement participatifs et transitoires.

Ouvrage collectif sur les communs urbains – @CITIES

 

L’objectif de cette recherche-action était, entre autres, d’accompagner l’équipe responsable de la mise sur pied d’un programme municipal d’urbanisme transitoire et d’une série de projets pilotes, en développant les approches collaboratives et participatives au sein de ces initiatives. À la fois designer-praticien et chercheur, il s’agissait là d’une belle opportunité qui me permettrait de comprendre la façon dont le design est perçu et mobilisé par des non-designers en contexte institutionnel, mais aussi, d’en apprendre plus sur la réalité d’une institution publique municipale, qui, en plus, était en pleine période électorale!

 

 

Quelles observations tires-tu de tes recherches et expériences professionnelles jusqu’à présent ?

De manière générale, j’en arrive à la conclusion qu’il faut impérativement adapter la pratique du design au contexte institutionnel dans lequel il est pratiqué. Les temps du design ne correspondent pas toujours aux temps et aux réalités institutionnelles (bureaucratie, verticalité, complexité règlementaire, etc.). Il est nécessaire pour le designer de développer une compréhension fine de ces différents temps qui regroupent des temps institutionnels très longs avec, par exemple, les multiples paliers de décisions, mais aussi, des temps politiques qui sont compressés et qui peuvent rapidement évoluer.

Cité des hospitalières – @nadimtadjine

Concernant cette temporalité, j’ai vite réalisé sur le terrain que le design est souvent perçu, par les non-designers, comme une stratégie pour faire du beau, pour innover rapidement. Toutefois, le design est un processus, une démarche, qui prend du temps. Cette exigence de rapidité et d’adaptation à des temps et à des acteurs aux profils variés se manifeste, notamment dans toutes les récupérations de la pratique du design, mais aussi, au nom de l’innovation. Le design peut ainsi devenir, de manière insidieuse, un instrument pour mobiliser différemment, rapidement, superficiellement, avec tous les risques et les biais que cela comporte. Malheureusement, le design est souvent vu comme une pratique collaborative comme les autres qui permet de mobiliser certains publics et non pas comme une discipline à part entière.

Dans le cadre de mes expériences professionnelles et de mes travaux de recherche, j’ai aussi rapidement réalisé que le designer n’est pas forcément formé à des systèmes complexes, qu’ils soient institutionnels, politiques, économiques ou sociaux. Le designer fait inévitablement face à une très forte courbe d’apprentissage, dès le début de sa pratique, immergé dans la réalité du terrain. Si le fait de travailler pour la Ville de Montréal tout en poursuivant mes travaux de recherche m’a aidé à mieux comprendre les dynamiques internes institutionnelles et les relations entre différents types d’acteurs, être un chercheur et un praticien en même temps, c’est tiraillant ! Quand on travaille dans le même milieu qui fait l’objet de nos travaux, on doit s’assurer de bien encadrer certains biais qui peuvent être liés à la proximité qu’on a avec certains acteurs et notre objet de recherche. J’ai dû adapter mes outils de collecte, adapter mon langage et mon positionnement pour tenter de mieux comprendre comment le designer en contexte institutionnel évolue.

Quelles pistes ou thématiques souhaiterais-tu explorer dans de futures recherches ?

Je travaille actuellement pour l’alliance Transition en commun qui vise à rassembler des groupes citoyens, des organismes de la société civile et des institutions autour d’une vision commune de la transition socioécologique afin de décloisonner l’action sociale et climatique et de développer des solutions collectives adaptées aux multiples réalités montréalaises. Je m’intéresse donc beaucoup à la démocratie participative, à la démocratie locale et aux politiques publiques, particulièrement en lien avec l’aménagement du territoire ou les questions de transition sociale et écologique. Les relations de pouvoir entre les acteurs et les dynamiques de collaboration entre les différents groupes m’interpellent. J’aimerais explorer davantage la place du design dans la conception de politiques publiques, comme ce qui se fait déjà beaucoup en Europe, mais très peu ici.

Comment évalues-tu la contribution de tes recherches sur l’avenir de la recherche en aménagement ?

Je souhaite que mes recherches alimentent la compréhension qu’on peut se faire du design dans la mise en place de politiques publiques en aménagement. Avec l’alliance Transition en commun et dans le cadre de mes travaux, je cherche à questionner les structures administratives et municipales qui soutiennent la participation publique, mais aussi, la façon de voir la démocratie locale. Les projets de recherche sur lesquels je travaille avec le Collectif de Réflexions et d’Interventions sur les Transformations et Institutions des Communs (CRITIC) vont dans ce sens. Ils portent, plus précisément, sur la place des partenariats publics-communs comme une stratégie prometteuse pour renouveler les modèles de gouvernance et de participation à l’échelle municipale.

Quel conseil donnerais-tu aux étudiantes et étudiants qui pensent entamer des études supérieures ?

En faisant le choix de travailler pendant mes études, j’ai voulu privilégier ma santé mentale et mon bien-être. Si mes nombreuses expériences professionnelles et mon engagement social m’ont beaucoup nourri sur le plan humain en me permettant de développer un réseau solide de collaborateurs et d’amis, étudier et travailler en même temps m’a obligé à développer un grand sens de l’organisation. Il faut dire que j’ai la chance de pouvoir compter sur une directrice de recherche qui m’a toujours soutenu.

Finalement, on ne peut jamais vraiment comprendre ce qu’implique un doctorat tant qu’on ne s’est pas lancé. S’embarquer dans une recherche sans financement, c’est complexe et angoissant au début, mais il faut garder l’esprit ouvert et ne jamais sous-estimer les opportunités qui peuvent se présenter sur notre route !

 


Entrevue réalisée par Melina Marcoux, coordonnatrice du CRAD, 2025.

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