1 septembre 2022
Marius Thériault est chercheur au CRAD depuis 1991. Géographe de formation, son apport au développement de méthodes d’analyse spatiale est largement reconnu au Québec, au Canada et même à l’international. Aujourd’hui retraité, il pose un regard sur son parcours au CRAD et sur les défis de la recherche en aménagement du territoire.
Comment a débuté votre carrière en recherche ?
Vers le milieu des années 70, lorsque j’ai fait mon baccalauréat en géographie à l’UQAR, j’étais souvent engagé pour réaliser des contrats d’assistanat de recherche ou de supervision des travaux étudiants. À l’époque, bien avant l’existence des logiciels de cartographie, il fallait savoir manipuler la plume à encre de Chine pour produire des cartes et je faisais des contrats pour illustrer des livres. Par la suite, j’ai eu l’opportunité d’être financé par le Conseil National de Recherche du Canada pour faire mes études de maîtrise et de doctorat. Intéressé par les analyses statistiques et l’informatique, j’ai décidé de faire une maitrise en climatologie. La cartographie assistée par ordinateur était en émergence et mon projet de maitrise fut de réaliser une carte par ordinateur. Pendant mon doctorat en climatologie, j’ai travaillé comme analyse au Port de Québec dans le domaine de l’aménagement. Ensuite, j’ai occupé un poste de professeur en géographie, mais n’ayant pas terminé mon doctorat, ça a pris du temps avant que je publie et que je devienne éligible à des fonds de recherche.
Un beau jour, Paul Villeneuve (Professeur émérite, ESAD, FAAAD, Université Laval) m’a offert de collaborer à un projet sur la structuration territoriale de la société locale à Québec (Écoville). Vers la fin des années 90, j’effectuais des recherches en sociologie urbaine en collaboration avec Anne-Marie Séguin et Paul Villeneuve ainsi que d’autres sur les valeurs immobilières avec François Des Rosiers (Professeur titulaire, Département de finances, assurances et immobilier, FSA, Université Laval). J’ai par la suite rejoint la Faculté d’aménagement puisque le contexte était plus favorable pour que je mène ma carrière de chercheur. De 2000 à 2006, j’ai pris la succession de Paul à la direction du CRAD et j’ai commencé à travailler avec Pierre Fréchette et Martin Lee-Gosselin (Professeurs émérites, ESAD, FAAAD, Université Laval) sur des projets dans les domaines des retombées économiques et des transports. Nous sommes allés chercher des financements du Géoide, un réseau pan canadien fondé par des professeurs de l’Université Laval et de l’Université de Calgary.
Qu’est-ce qui vous motive dans le métier de chercheur ?
La curiosité, la soif d’apprendre avec les autres et de publier sont des sources de motivations. Mes contributions personnelles m’ont donné une bonne visibilité, mais éventuellement, elles vont devenir obsolètes au fur et à mesure que de nouvelles connaissances seront produites. Ma plus grande satisfaction est de former la relève. J’ai contribué à former 15 doctorants qui sont devenus professeurs d’université et qui, à leur tour, forment de futurs professeurs.
Quelle expertise avez-vous développée au cours de votre parcours au CRAD ?
Une des grandes qualités du CRAD réside dans la multidisciplinarité de sa programmation, j’aime l’idée de travailler avec des collègues tout en gardant nos spécificités. J’ai collaboré avec toutes les équipes du CRAD et ce qui m’a caractérisé le plus au cours de toutes ces collaborations, c’est l’expertise que j’apportais en matière d’analyse quantitative, spatiale et géomatique dans les projets. J’ai des connaissances aussi dans les thématiques abordées (transports, forme urbaine, environnement) puisque ma formation en géographie m’a donnée des connaissances de base. Le maître-mot c’est la diversité, ça peut paraitre comme de la dispersion, mais pour moi c’est de la continuité. Cela a eu comme conséquence qu’on a de la difficulté à me caser dans un domaine ou une discipline.
Dans le réseau Géoide, j’ai été financé dans le cadre des 4 phases du réseau. Mon apport était non seulement au niveau de la méthodologie mais aussi dans la capacité d’intervenir au niveau du sujet. Bernard Moulin (Professeur émérite, département d’informatique et de génie logiciel, Faculté de sciences et génie, Université Laval) et moi avons fait des simulations en épidémiologie pour suivre l’évolution spatiale du virus du SRAS. Le problème est qu’il n’y a pas eu de spin-off des projets, ils n’ont pas été repris par les ministères et les organismes comme ce fut le cas pour le projet de Pampalon sur les indicateurs de défavorisation sociale et matérielle qui a été repris par le ministère de la santé.
Comment vos liens avec la pratique professionnelle, vos collaborateurs ou vos étudiants nourrissent-ils vos recherches ?
J’ai travaillé avec beaucoup d’autres chercheurs du CRAD tels que Claude Lavoie, Manuel J. Rodriguez, Mario Carrier (Professeurs titulaires à l’ESAD, FAAAD, Université Laval) et Carole Després (Professeure titulaire, école d’architecture, FAAAD, Université Laval). J’intervenais dans les analyses spatiales. Les conférences-midi nous permettaient de voir ce que les autres chercheurs faisaient, de voir quels étaient les transferts méthodologiques possibles. J’ai eu beaucoup de plaisir également à travailler avec mes anciens doctorants et doctorantes tels que Yan Kestens, Jean Dubé, Marie-Hélène Vandersmissen, Catherine Trudelle et Alexandre Lebel.
J’ai également participé à la création du Réseau Villes Régions Monde (VRM) en collaboration avec son fondateur Jean-Pierre Collin de l’INRS. Ce dernier a été un bon mobilisateur pour mettre en place des réseaux de collaborations en études urbaines entre les universités. VRM a grandement contribué à la reconnaissance de la pertinence sociale des projets menés au CRAD et aussi à assurer un financement externe.
Il y a un rayonnement international qui s’est développé au CRAD à travers les collaborations avec des chercheurs comme Christophe Claramunt de l’École Navale, Florent Joerin de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et Phillipe Gerber de l’ISER du Luxembourg. Ces collaborations m’ont permis de développer des amitiés, de voyager et ont élargi le spectre de mes projets, les thématiques étaient très variées : mobilité transfrontalière, psychologie de l’environnement, mobilité spatiale et trajectoires résidentielles.
Quelle est la contribution des recherches du CRAD à l’évolution des débats en aménagement du
territoire ?
Dans le dossier des enjeux des transports à Québec, la perception de la population est qu’il y a des problèmes de congestion et que le jour où l’autoroute sera construite, il va y avoir de la fluidité alors que toutes les recherches démontrent qu’à long terme, l’ajout d’autoroutes créé de l’étalement et coûte extrêmement cher en infrastructures. Il y a un avantage économique pour les ménages à s’établir en périphérie et tant qu’on aura un système voulant que les municipalités se financent à partir des taxes foncières, on restera dans un cercle vicieux. J’ai coproduit un rapport pour la Ville de Québec qui démontrait qu’il y aurait moins de GES si on construit dans le secteur déjà desservi par les services. (Figure 2)
Il faut avoir une vision d’ensemble des coûts-bénéfices reliés aux projets, se prononcer avec des nuances et proposer des solutions. Le coût social et économique du développement urbain axé sur le transport automobile est énorme. L’achat d’une voiture électrique n’est pas possible pour tous les ménages. Le fait de miser uniquement sur cette stratégie en matière de mobilité durable aura pour effet d’augmenter le clivage social entre ceux qui pourront s’en procurer une et ceux qui ne pourront pas.
L’aide à la décision et les charrettes permettent d’aller capter les préoccupations de la population et c’est nécessaire. Mais il faut aussi influencer les décideurs. Les changements requièrent une intervention à trois niveaux: 1) au niveau de la population; 2) au niveau technique; et 3) au niveau politique. Des groupes comme Vivre en ville arrivent à influencer au niveau local mais si on veut influencer à l’échelle globale, il faut aller au niveau politique (municipalités, ministères). Il faudrait avoir une fiscalité qui favorise l’établissement des ménages au centre-ville afin de limiter l’étalement. Les promoteurs sont intéressés par la proposition des Transit Oriented Development (TOD), mais les tours à condos ne conviennent pas à tout le monde. Il faut aussi des logements abordables et des espaces verts.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
Les bouleversements climatiques et sociologiques qui se pointent à l’horizon me préoccupent. Les migrations de populations vont amener des enjeux géopolitiques. Les frontières du Canada étant relativement perméables aux migrants du continent américain, nous allons faire face à des questions morales concernant l’accueil des réfugiés climatiques car leur nombre est appelé à augmenter.
Alimenter la communication avec la population est un défi pour le CRAD. Les interventions avec des groupes comme Vivre en ville, Accès transports viables, le RTC, des ordres professionnels, des municipalités permettent de trouver des applications à nos recherches. Les travaux de Geneviève Cloutier sur la participation citoyenne par exemple apportent un éclairage nécessaire à propos des mécanismes visant à impliquer la population dans les projets d’aménagement. Je pense qu’il y a du travail à faire au Québec pour mieux impliquer les citoyens. C’est sûr qu’il va toujours y avoir de la résistance mais l’urgence climatique nous oblige à avoir une approche qui favorise la diversification des modes de transports. Comme chercheur, on a une propension naturelle vers la recherche fondamentale car ça permet d’innover, mais il faut un bon dosage de recherche fondamentale et appliquée.