21 juin 2022
Roxane Lavoie est Professeure à l’ESAD depuis 2015 et elle se spécialise dans l’amélioration des processus d’aide à la décision en aménagement du territoire. Passionnée par le dialogue entre les cultures et les disciplines, elle mène et collabore à différents projets de recherche sous le thème de l’eau. Découvrez le parcours de cette chercheuse inspirée par les réflexions qu’elle a avec ses étudiants, ses collègues et les acteurs impliqués dans les enjeux de l’aménagement durable des territoires.
Depuis combien de temps faites-vous de la recherche ? Comment avez-vous débuté votre carrière en recherche ?
J’ai commencé à faire de la recherche comme étudiante lors de ma maîtrise professionnelle en ATDR. C’était en 2008, lors d’un stage avec Florent Joerin qui était Professeur à l’ESAD en aide à la décision territoriale, que j’ai constaté la variété que pouvait offrir le métier de chercheur. Je l’avais accompagné lors de conférences, de visites sur le terrain, de rencontres avec des partenaires pour un futur projet et c’est ainsi que j’ai eu la piqure. Le travail collaboratif entre les disciplines et aussi entre les cultures me rejoint beaucoup. J’ai fait mon baccalauréat en études internationales et environnement en ayant en tête l’objectif de créer des ponts pour une meilleure gestion de l’environnement. La transmission des connaissances aux prochains aménagistes est un aspect du métier de professeure-chercheure que j’aime beaucoup également.
En 2015, je suis allée faire un stage postdoctoral au Massachussetts Institute of Technology (MIT) à Boston, une ville qui compte une soixantaine d’universités et où on retrouve un foisonnement de chercheurs et d’étudiants. J’étais sous la supervision de Judith Layzer, qui travaillait sur la participation dans le cadre de projets en environnement. Elle avait étudié beaucoup de projets aux États-Unis et elle était arrivée à la conclusion qu’on n’obtient pas nécessairement de meilleurs résultats au niveau du milieu physique lorsqu’on réalise un projet de façon participative. Quel est le rôle des parties prenantes d’une problématique abordée dans un projet de recherche ? À quel moment de la démarche est-ce pertinent ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles elle m’a amenée à réfléchir.
Larry Susskind, spécialise en diplomatie de l’eau, est également une personne marquante de mon parcours que j’ai rencontrée lors de mon postdoctorat. Cette collaboration m’a amenée à constater l’ampleur et la multitude des enjeux de la collaboration entre différents pays pour l’accès à l’eau. De plus en plus, les décideurs vont devoir faire de la gestion collaborative régionale avec une pluralité d’acteurs. En revenant au Québec, j’ai eu envie de contribuer à la compréhension des enjeux entourant cette problématique et de travailler à fournir des outils aux décideurs.
D’où vient votre motivation pour la recherche universitaire ?
La liberté de pouvoir dire quelle est la conclusion à laquelle je suis arrivée malgré le risque de déplaire. La liberté aussi de choisir mes projets, mes collaborateurs, autrement dit : l’indépendance. Celle qui me permet de diriger les projets avec mes croyances et mes valeurs. Dans l’exercice de mon métier, j’aime apprendre des nouvelles choses pour les transmettre et alimenter l’enseignement. Les préoccupations évoluent et c’est stimulant de le constater à travers les cohortes d’étudiants. On a une grande diversité de formations et d’intérêts chez les étudiants à leur arrivée à l’ÉSAD, ce qui donne lieu à des réflexions très riches.
Sur quoi portent vos recherches actuelles ?
Le fil conducteur de mes différents projets est l’harmonisation entre les besoins du milieu naturel et ceux des humains. La plupart de mes projets sont en lien avec l’eau (eau souterraine, gestion des inondations, activités maritimes, etc.). Tandis que la plupart de mes collègues ont une expertise en lien avec le milieu naturel (ex : biologie, génie des eaux), mon apport dans les projets est l’intégration des préoccupations des citoyens, des agriculteurs, des communautés aux processus d’aide à la décision.
Dans le projet « Cultures et Nations Saint-Laurent », on travaille en coconstruction avec cinq Nations autochtones et on tente d’évaluer les effets des activités maritimes du fleuve St-Laurent sur les communautés. Ce sont les Premières Nations qui ont soulevé dès le départ leur intérêt pour cet objet de recherche et par la suite Transports Canada a sollicité des chercheurs pour développer le projet. Ça s’inscrit dans une initiative beaucoup plus large où il y a six projets pilotes à l’échelle du Canada qui font des choses similaires. La particularité de notre projet est que nous nous intéressons aux effets socioculturels des activités maritimes du fleuve sur les communautés. Un des objectifs est de développer une méthodologie, en particulier pour les communautés autochtones mais ça pourrait s’appliquer à des communautés non-autochtones aussi. Le fait de travailler avec les aînés dans le cadre de ce projet m’a donné l’envie de le faire également dans le cadre de mon projet sur les inondations.
Par ailleurs, je poursuis mes collaborations avec René Lefebvre dans le cadre de projets visant à intégrer les éléments de gestion des eaux souterraines dans les documents de planification territoriale comme les plans directeurs de l’eau, les schémas d’aménagement et les plans d’urbanisme. Dans certains milieux, on se rend compte que l’on a assez d’eau à l’échelle régionale mais il y a des gens, des municipalités ou des entreprises qui manquent d’eau régulièrement. On s’interroge sur les possibilités visant à rediriger l’eau de bassins de rétention à des agriculteurs qui manquent d’eau, à fournir de l’eau potable, pour l’irrigation de champs, ou pour la transformation alimentaire. Un autre projet sur lequel je travaille est en lien avec la vulnérabilité des sources d’eau potable. On monte une base de données à partir des rapports d’analyse de vulnérabilité des sources d’eau potable pour alimenter l’élaboration de plans de protection des sources et faire des recommandations. Je travaille aussi sur les infrastructures vertes et à la gestion des eaux qui en découle. Il y a plusieurs interventions à notre portée qui pourraient contribuer à diminuer l’eau de ruissellement. Ces infrastructures vertes servent aussi à créer des milieux de vie pour les citoyens, ex : verdir le quartier, créer des îlots de fraicheur. Une de mes étudiantes étudie la toilette à compost comme solution de gestion des eaux. Il y a beaucoup d’avantages à son utilisation, notamment le fait qu’elle rejette beaucoup moins d’eau usée dans l’environnement. Avec Peter Vanrolleghem dont l’expertise est en lien avec les eaux usées, on se demande comment ça peut devenir un projet intéressant pour les résidences en milieu isolé.
Comment pourriez-vous vous décrire en tant que chercheure ?
Humilité et apprentissage mutuel, c’est ce qui créé la pertinence et le succès de nos projets. Autrement dit, je ne tiens pas pour acquis de savoir, je reste à l’écoute.
Quelle est votre devise ?
« Go through the motion », c’est un collègue qui me l’a transmise en tout début de carrière. Il peut être parfois insécurisant de faire de la recherche car il y a une part d’inconnu, alors on essaye et on apprend.
Comment la recherche peut-elle faire évoluer les débats en aménagement du territoire ?
Il y a un rôle très politique à la recherche dans lequel je suis moins à l’aise de naviguer. Quand il y a des débats polarisés, c’est le rôle de la recherche d’amener des faits et d’éclairer les problématiques. Moi, je suis plus à l’aise dans le fait d’alimenter le débat par la formation de la relève qui va travailler à amener les connaissances dans les milieux de pratique où ils vont œuvrer. Simplement quand on conduit des entrevues dans le cadre de terrains de recherche, on participe à la diffusion du projet car on suscite des réflexions.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
C’est positif car on veut amener des solutions. Il y a un éveil par rapport à l’importance de l’interconnexion entre l’humain et le territoire. Il y a une prise de conscience par rapport à cette interdépendance. Le fait qu’on partage le territoire avec plusieurs groupes, plusieurs nations renforce l’intérêt envers la recherche en aménagement.