2 novembre 2021
Claude Lavoie est professeur à l’ESAD depuis 1996 et dirige un laboratoire de recherche sur les plantes envahissantes. Biologiste de formation, son parcours en aménagement du territoire l’a amené à réfléchir aux applications de ses connaissances sur les végétaux. Communicateur hors pair, il adore former les acteurs du terrain sur des méthodes efficaces pour lutter contre les plantes envahissantes. Découvrez le parcours de ce chercheur dont la dernière étape de carrière sera consacrée à la vulgarisation des résultats de ses recherches.
Depuis combien de temps faites-vous de la recherche ?
Je fais carrière en recherche depuis 25 ans. J’ai fait mon doctorat en biologie. C’était une recherche très fondamentale. J’étudiais les relations entre le climat et la végétation sur plusieurs milliers d’années, aussi en relation avec les incendies de forêt.
J’ai obtenu mon doctorat en 1994 et j’ai été embauché comme professeur à l’ESAD en 1996. À l’époque, il n’y avait pas de sciences naturelles au CRAD, c’est Manuel J. Rodriguez et moi qui avons mis en œuvre, dans nos domaines respectifs, des programmes de recherche en sciences naturelles. La recherche du CRAD était alors presque exclusivement orientée vers les sciences sociales. Les gens qui étaient à la tête du centre, en l’occurrence Paul Villeneuve et Pierre Fréchette, voulaient élargir les sphères d’activité et nous nous sommes inscrits dans ce vent de changement. Alors, il a fallu que je trouve une niche écologique libre dans laquelle je pouvais m’inscrire, car le CRAD, c’est forcément de la recherche appliquée. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire de recherche fondamentale, mais ça a plus de sens si elle aboutit vers des applications concrètes.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans la recherche universitaire ?
La meilleure façon dont je peux m’accomplir c’est en faisant de la recherche. J’aime l’indépendance et la liberté d’action qui viennent avec l’exercice du métier de chercheur. Mais je ne fais plus de la recherche comme avant, dans le sens où je fais moins de collecte de données originales. Même si je vais moins souvent sur le terrain, les travaux de mes collègues chercheurs sont d’une utilité essentielle pour mon travail de vulgarisateur et de communicateur. Les deux livres que j’ai écrits sur les plantes envahissantes, dont un à paraître bientôt (avril 2022), se fondent sur plus de 4 000 références.
Selon moi, la dimension universelle est importante en recherche. J’essaie en tout temps de mettre l’accent sur la fin, plutôt que le moyen. Par exemple, je ne travaille pas sur la renouée du Japon envahissante. Aussi nuisible soit-elle, ce n’est que le moyen. Ce qui m’intéresse, c’est comment un envahisseur, quel qu’il soit, change son environnement.
Comment vous décrivez-vous en tant que chercheur ?
Par choix, je ne vise pas à faire une carrière internationale en recherche, même si la quasi-totalité de ma centaine de publications est rédigée en anglais. Je suis en revanche un bon communicateur, j’écris avec une grande facilité et je m’adapte à tous les auditoires. Un à moment donné, j’ai eu un contrat pour monter une formation sur l’herbe à poux. Elle se donnait à l’Hôpital de Rivière-du-Loup et j’étais sûr qu’elle était destinée à des médecins. Ce furent plutôt des employés d’entretien du ministère des Transports, et il a fallu m’adapter sur le champ ! J’aime aller sur le terrain et rencontrer des gestionnaires, des praticiens, des techniciens et leur montrer comment fonctionnent la nature et les solutions efficaces pour lutter contre les plantes envahissantes. C’est la raison pour laquelle je vais consacrer mes prochaines années de professeur-chercheur davantage à la communication et à la formation continue qu’à la production de données nouvelles.
Sur quoi portent vos recherches actuelles ?
Avant, j’étudiais la façon avec laquelle les plantes envahissantes se propagent dans l’espace. À mesure que mes recherches ont évolué, je me suis intéressé davantage à leurs impacts. Maintenant, je m’intéresse de plus en plus à la façon de lutter contre les envahisseurs de manière écoresponsable, c’est-à-dire sans herbicides. Je travaille autant sur le développement de nouveaux procédés que sur la planification stratégique des campagnes de lutte, particulièrement pour freiner la propagation de la renouée du Japon, du roseau commun et, surtout, du myriophylle à épis. Il y a trois endroits dans le monde où on a réussi à lutter efficacement et de manière durable contre le myriophylle à épis et mon étudiant Vincent Gagné est responsable d’un de ces succès.
Comment vos liens avec la pratique professionnelle, vos collaborateurs ou vos étudiants nourrissent-ils vos recherches ?
Depuis 2014, j’ai formé avec mon équipe 1 500 personnes en lutte écoresponsable, grâce à mon programme de formation continue Plantes envahissantes. Je suis en réseau avec tous les acteurs nord-américains qui s’intéressent au myriophylle à épis. Tout le monde m’informe et j’ajuste mes formations en fonction de la réalité du terrain. Ça me permet de savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ça me permet aussi de voir où sont les forces vives en matière de lutte, les municipalités et les associations citoyennes en l’occurrence. Je sais qui sont les acteurs clés pour travailler efficacement dans les systèmes. Je peux ainsi mieux orienter les gens vers des luttes efficaces.
J’ai travaillé au CRAD avec Paul Villeneuve et Jean Dubé sur le développement de modèles avec composantes spatiales prédisant la présence de plantes envahissantes. Le contexte multidisciplinaire du CRAD m’a aidé à développer mon regard critique et m’a ouvert l’esprit sur d’autres dimensions socioéconomiques relatives à l’environnement.
Quelle est votre devise ? Quelle est votre hypothèse ?
Ma devise, c’est de « choisir ses combats ». Il y a des combats qui valent la peine d’être menés et d’autres qui n’en valent pas la peine parce qu’il est trop tard. Il est possible de lutter contre le roseau commun, mais pas partout : en Gaspésie, oui, mais pas en Montérégie où il y a des milliards de tiges. Là, il faut plutôt se concentrer à limiter les dégâts.
Il faut aussi relativiser les problèmes. Je suis allé faire une capsule pour le compte du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques à propos de la renouée du Japon. Nous étions sur le bord d’une rivière avec d’immenses massifs de renouée, mais nous étions aussi entièrement entourés de champs de maïs. Où est le véritable problème ? Cultiver du maïs, c’est polluant et énergivore. On peut bien lutter contre la renouée, mais mieux cultiver les terres serait, en ce contexte, bien plus profitable pour l’environnement et l’eau que d’éliminer n’importe quel envahisseur.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
La recherche en ATDR va devenir de plus en plus utile étant donné qu’il n’y a plus vraiment de territoires vierges. L’aménagement c’est l’art du compromis, et des compromis, il faudra en faire beaucoup dans les années à venir pour conserver des collectivités viables. La tâche sera ardue pour la jeune génération de chercheurs qui devra relever tous les défis auxquels nous devrons faire face, notamment ceux du réchauffement du climat. Ces défis, formidables, exigeront que nous, professeurs et professeures, offrions aux étudiants une formation de la plus haute qualité.