14 septembre 2021
Jean Dubé est professeur en aménagement du territoire depuis 2014. Économiste de formation, il se spécialise dans le domaine de la modélisation territoriale et l’évaluation de politiques publiques en aménagement du territoire. Pur descendant de la tradition de Paul Villeneuve et Marius Thériault, il est passionné par le développement de nouvelles méthodes quantitatives visant une meilleure compréhension des dynamiques urbaines et régionales. Voici le portrait de ce membre du CRAD motivé par la vulgarisation des résultats de la recherche dans la sphère publique.
Comment avez-vous débuté votre carrière en recherche ?
Après ma maîtrise en économie, j’ai occupé un poste au ministère des finances et je développais des modèles de prévisions pour ce ministère. Ensuite, je me suis retrouvé dans un poste de conseiller stratégique et c’est à ce moment que j’ai eu la piqure pour le transfert de connaissances. Après trois ans aux finances, je me suis rendu compte que je voulais continuer à développer des modèles, mais que le côté enseignement et transmission des connaissances me branchait aussi. J’ai donc décidé de faire le saut au doctorat. Après mon doctorat, j’ai eu la possibilité d’aller me chercher un poste de professeur. Ce qui me plait dans l’exercice de ce métier, c’est non seulement l’enseignement et la recherche, mais aussi l’indépendance que cette position me procure, c’est-à-dire que je ne suis pas obligé de dire ce que les élus disent dans les médias et je n’ai pas de clients à satisfaire.
Qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier de chercheur ?
Il y a une complémentarité intéressante entre les approches qualitatives et quantitatives. Pour moi, l’approche quantitative permet de cerner des tendances et ensuite, on poursuit l’analyse avec des méthodes qualitatives pour comprendre ce qui ne concorde pas avec le reste des comportements. Je m’intéresse principalement à l’analyse de l’impact de politiques publiques liées à l’aménagement et au développement. On se sert souvent d’arguments économiques pour vendre des projets, mais une fois qu’ils sont réalisés, on ne se pose plus la question à savoir si la réalité reflète réellement ce que l’on a vendu. Est-ce que ça a marché comme on le voulait ? Est-ce que ça a donné ce que l’on pensait ? Est-ce qu’on peut se servir de cette expérience pour envisager le futur ? Est-ce qu’on devrait répéter des expériences comme celle-là ? Est-ce que c’est à proscrire ou à refaire avec des variantes ? Je me sers des expériences vécues pour faire des analyses et voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Un autre projet sur lequel j’ai travaillé avec mon équipe concerne les reconversions résidentielles (figure 1). Mon expertise ne me permet pas de dire s’il faut le faire ou ne pas le faire, ni même d’évaluer les composantes architecturales, mais elle permet d’évaluer où ces reconversions résidentielles sont susceptibles d’arriver. Récemment, on a repris ce projet-là et nous nous sommes demandé si la reconversion résidentielle avait un impact sur les maisons autour. Le phénomène « pas dans ma cour » est véhiculé dans les médias. L’argument que les citoyens mettent de l’avant est celui de la baisse de la valeur des propriétés. Donc, je fais de la modélisation pour savoir ce qu’il en est. La faiblesse de mon approche, c’est qu’on le sait seulement après coup, mais elle apporte un éclairage sur les décisions futures.
Sur quoi portent vos recherches actuelles ?
Mes projets portent sur l’évaluation économique des externalités urbaines, les décisions de localisation des ménages, des entreprises et les défis méthodologiques en sciences régionales. Je me sers des données immobilières pour mesurer les externalités urbaines. Il y a aussi le développement de nouvelles méthodes pour répondre aux défis rencontrés et pour lesquels on n’a pas toujours les outils. La disponibilité des micro données spatiales et des méga données ouvre la voie à de multiples opportunités, mais on n’a pas nécessairement les méthodes pour travailler avec ce genre de données et c’est un besoin auquel je tente de répondre. J’ai découvert l’analyse de réseaux grâce à un étudiant du CRAD, Diego Andres Cardenas Morales, et ça m’emmène des opportunités de recherche intéressantes. J’essaie de voir comment les infrastructures publiques peuvent influencer les choix de localisation des entreprises. Avec des collègues, je suis en train de terminer un article à propos des impacts du prolongement de l’autoroute 30 sur l’expansion de la localisation des activités économiques.
Comment vos liens avec la pratique professionnelle, vos collaborateurs ou vos étudiants nourrissent-ils vos recherches ?
À un moment donné, les étudiants deviennent meilleurs que nous dans ce qu’ils font et on apprend d’eux. J’ai beaucoup d’étudiants qui travaillent sur des sujets qui ne sont pas dans mon domaine principal et ça m’amène à élargir mes horizons. J’ai quelques collaborateurs réguliers comme Cédric Brunelle, Nicolas Deveaux que j’ai dirigé au doctorat, François Des Rosiers et Diègo Legros. J’ai des collaborateurs à Montréal, Dijon et Manchester, mon réseau est assez éclaté.
J’ai collaboré à quelques reprises avec des membres du CRAD mais mes collaborateurs réguliers ne sont pas nécessairement ici. Je dirais que je suis un des descendants de l’approche quantitative développée au CRAD par Paul Villeneuve, Marius Thériault, Pierre Fréchette, etc. Je me reconnais dans les activités du CRAD des années 90, voir 2000. On y développait plusieurs études axées sur les analyses quantitatives, une approche qui demeure encore très forte du côté anglosaxon.
Comment évaluez-vous la ou les contribution(s) de vos recherches sur l’évolution des débats publics en aménagement du territoire ?
Comme universitaire, on est souvent perçus comme des gens qui n’ont jamais de solutions simples. Je pense que c’est notre responsabilité de remettre les choses en perspective, car si on ne le fait pas, on laisse la place à ceux qui dichotomisent les discussions. Mais, bien humblement, est-ce que ce que je crois que je suis écouté ? Je ne pense pas. Je suis plutôt terre-à-terre par rapport à ça. On peut nourrir des coalitions qui sont plus militantes et c’est bien, mais moi je ne suis pas un militant ni un politicien.
Les gens me demandent « qu’est-ce que tu dirais à la Ville de Québec ? ». Je leur réponds que ce n’est pas à moi de leur dire quoi faire. Ils connaissent leur terrain mieux que moi. Ils ont des fonctionnaires qui travaillent là depuis des années et ils ont une connaissance fine des réalités courantes. Je me vois cependant comme une ressource qui peut aider afin de développer des outils en lien avec leurs questions. Des analyses pour lesquelles ils n’ont pas l’expertise leur permettant de pousser le projet à terme. Malgré le fait que je n’ai pas de solutions miracles à proposer, je suis persuadé que c’est important d’avoir une présence et une implication à l’extérieur de l’université.
Quelles pistes souhaitez-vous explorer dans vos recherches futures ?
Je veux consolider ce que je suis en train de développer, soit l’évaluation des politiques publiques en aménagement et développement. Quand on a des débats de société comme celle de la construction du troisième lien, je veux continuer d’exposer les résultats des expériences passées. C’est cette perspective que je veux développer pour pouvoir apporter de l’eau au moulin dans les débats publics.
Je m’en vais en année d’études et de recherche et j’ai un projet d’écrire un bouquin sur l’évaluation des politiques à partir de la méthode statistique et ensuite changer mon cours et enseigner ça aux étudiants. J’ai des partenaires comme la Ville de Québec qui me posent des questions qui peuvent avoir un intérêt académique. C’est intéressant d’avoir un équilibre entre l’avancement de la recherche et l’utilité des résultats par les intervenants sur le terrain.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
Les villes ne cessent de grossir et les problèmes urbains ne cessent de s’accentuer (les effets liés à la pandémie et au confinement, les catastrophes naturelles en milieu urbain, la gestion de la croissance urbaine, l’exclusion sociale de certains ménages, les inégalités, la violence, etc). Lorsque l’on parle de l’avenir de la recherche en aménagement, on fait beaucoup référence aux milieux urbains, mais on parle aussi des milieux ruraux et de leur dévitalisation et des défis sur la gestion et l’offre de services publics. On a développé les villes à vitesse grand V dans les années 70 sans trop se soucier des impacts pour le futur et on doit vivre avec ça aujourd’hui. Un des mots d’ordre actuellement c’est « qualité de vie » et ça touche l’aménagement et le développement. Bref, je ne pense pas que la recherche en ATDR est sur le point de s’essouffler.