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Carolina Belén Espinoza-Sanhueza est doctorante en architecture au sein du Groupe de recherche en ambiances physiques (GRAP, dir : Claude MH Demers). Cette étudiante d’origine chilienne est passionnée par les théories de la biophilie et les potentialités liées à l’éclairage pour améliorer le bien-être et la santé des individus. Motivée par le besoin de répondre aux défis que pose l’architecture intérieure en milieu nordique, Carolina souhaite mettre à contribution son expérience au service du développement de stratégies d’éclairage adaptées aux besoins et à la réalité climatique du Nunavut.
Qu’est-ce qui vous a amenée à réaliser des études supérieures ?
Lors de mon retour de stage à la Polytechnique de Milan, j’ai saisi l’opportunité de réaliser un mémoire de fin d’études sur l’éclairage naturel et artificiel. Dans le cadre de ce projet consacré à l’étude des conditions d’éclairage des œuvres du musée d’art précolombien, je me suis familiarisée avec la technique et l’analyse des ambiances lumineuses. Ces expériences m’ont ouvert la voie vers tout un pan de la recherche architecturale. Ensuite, j’ai entrepris le doctorat en architecture que je mène actuellement, au sein du Groupe de recherche en ambiances physiques qui développe et étudie plusieurs techniques et stratégies architecturales pour créer des espaces centrés sur les besoins des humains.
Pourquoi votre domaine d’études vous passionne-t-il ?
Deux raisons principales expliquent mon intérêt pour les questions liées à l’éclairage et la lumière en architecture. Il y a d’abord l’importance des composantes visuelles dans la vie quotidienne des individus. La lumière et les couleurs sont des paramètres qui influencent notre humeur, nos perceptions et créent des espaces affectifs. Ceux-ci ont également des effets sur les processus physiologiques (sommeil, appétit, rythme cardiaque, etc). Je suis très intéressée par la biophilie qui peut se définir comme le besoin inné qu’ont les humains d’être en contact avec la nature et les éléments qui la composent.
De nos jours, au moins 90 % de la vie des individus se déroule à l’intérieur d’un espace, que ce soit à la maison ou au bureau et on remarque que cette statistique est à la hausse depuis le début de la pandémie de la COVID-19. Auparavant, une grande importance était accordée à l’esthétique alors qu’aujourd’hui, la « qualité » de l’ambiance est un aspect de plus en plus important dans les projets architecturaux.
Sur quoi porte votre thèse ?
Mon objectif est de contribuer à développer des ambiances lumineuses biophiliques dans les milieux nordiques, notamment en améliorant les conditions intérieures par rapport à des patterns naturels qui nous aident à établir une relation avec notre environnement (figure 1). Autrement dit, je souhaite adapter les théories de la biophilie en lien avec la couleur et la lumière aux contextes nordiques dans lesquels il n’y a presque pas de lumière à certains moments de l’année.
L’éclairage est le paramètre fondamental dans la synchronisation de l’horloge circadienne, un mécanisme de régulation des processus quotidiens comme le rythme cardiaque, le sommeil et l’état d’alerte. La plupart de l’éclairage artificiel utilisé dans les bâtiments n’est pas adapté à ce dont notre corps a besoin. Les ampoules standards donnent le même type d’éclairage durant toute la journée, malgré que le corps humain ait besoin de changements spectraux. En matinée, on a besoin d’un type d’éclairage d’une couleur plus froide ou « bleue ». En soirée, les propriétés de la lumière devraient changer et offrir un type d’éclairage plus chaud pour influencer positivement le sommeil. Cet enjeu se reflète durant la nuit polaire où les habitants du Nord n’ont pas une luminosité suffisante pour leurs besoins et ils ont recours à la lumière électrique de façon constante durant toute la journée, ce qui a des effets néfastes sur la régulation de l’horloge circadienne (figure 2).
J’aborde deux enjeux importants dans mon cadre conceptuel soit 1) la source de lumière (naturelle ou artificielle) et 2) le type de surface. La lumière et les surfaces colorées qui composent une ambiance interagissent et produisent un nouveau stimuli qui affectera la personne tant au niveau physiologique que psychologique. Les nouvelles techniques de traitement des images permettent de prédire les effets potentiels en termes de vision, de perception et ceux qui affecteront les individus à des niveaux physiologiques. La combinaison des effets visibles (perceptions) et non-visibles (photobiologiques) se reflète dans le bien-être et la satisfaction des habitants d’un espace.
La visée n’est pas seulement de développer des solutions qui répondent aux standards. Il faut que les alternatives des systèmes d’éclairage électrique et d’utilisation de la couleur contribuent à concrétiser les aspirations de la communauté. Pour y arriver, on utilise des images comme un langage en commun qui nous permet de communiquer les possibles effets photobiologiques et la transition temporelle d’un espace à l’autre. La lumière est dynamique. Ses propriétés changent durant la journée selon le contexte et notre corps s’adapte à ces changements. Cette manière d’étudier la lumière et la couleur pourrait permettre aux architectes de visualiser et comprendre quelles seraient les possibles stratégies à ajouter et les communiquer à la communauté dans un projet architectural au Nunavut. Pour réaliser ma recherche, je collabore avec des spécialistes comme Marc Hébert et Jean-François Lalonde, respectivement chercheurs au CERVO et au Laboratoire de vision et de systèmes numériques. Marc Hébert évalue la partie conceptuelle et méthodologique liée aux effets photobiologiques et perceptuelles. Quant à Jean-François Lalonde, il est chargé d’évaluer la conception méthodologique du traitement des images et des données.
Comment évaluez-vous la ou les contribution(s) de vos recherches sur l’évolution des débats publics en aménagement du territoire ?
Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour faire connaître aux citoyens les impacts de la qualité de l’environnement intérieur sur la santé. La sensibilisation de la population à cet égard va possiblement être plus présente étant donné que le télé-travail est de plus en plus courant. La préoccupation grandissante relative à la qualité des environnements de travail pourra-t-elle contribuer à améliorer l’intégration du design dans les projets d’architecture et d’urbanisme ? Je le souhaite.
Quelles pistes souhaitez-vous explorer dans vos recherches futures ?
Le design biophilique est une approche qui a été développée surtout pour les communautés du Sud. Alors, le défi est d’adapter ces pratiques pour les communautés nordiques. Ma directrice de thèse Claude MH Demers et ses étudiants au doctorat Mélanie Watchman et Mojtaba Parsaee abordent ces objectifs de recherche dans leurs travaux.
Un autre aspect qui est à développer dans les recherches futures est l’utilisation des nouvelles technologies. Pour étudier les compositions lumineuses des environnements intérieurs, le retour aux nouvelles technologies offre la possibilité de collecter des données dans les régions éloignées et accompagner à distance les communautés.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
Je pense qu’il faut continuer avec l’objectif de développement durable, mais davantage centré sur l’être humain. Les standards comme le LEED (leadership in energy and environnemental design) renvoient à la mise en place de solutions durables, mais le bien-être de la personne n’est pas nécessairement pris en compte. Au-delà des indicateurs de performance d’un bâtiment, est-ce que celles et ceux qui l’habitent sont bien ? Quel est le niveau de bruit ambiant ? Est-ce que les ambiances répondent aux besoins photobiologiques ? Ce sont des enjeux importants à aborder dans les recherches en architecture.